Il est parti avec une blonde
« Il est parti avec une blonde, peut-être teintée », c’est ce que déclare Rachel quand elle demande à la police de rechercher son mari.
La grande guerre
Albert est né à la fin du XIXe siècle dans le Tarn, de père inconnu. Cultivateur, puis chauffeur d’autos, il habite dans le Ségala, en Aveyron, au moment de sa conscription. En raison d’un léger raccourcissement et légère déviation de la jambe droite, il est maintenu en service auxiliaire par la commission de réforme d’Alger le 23 décembre 1914. Pendant la guerre, il est affecté au 81ème RI le 29 aout 1916 puis au 2ème groupe d’aviation le 15 janvier 1917. C’est de là qu’il envoie une photo à celle qui va devenir sa future épouse.
Photo fournie pour la recherche dans l'intérêt des familles - 4M348-AD12
Retour à la vie civile
Après la guerre, il est mis en congé le 31 août 1919 et se retire à Rodez, quartier de l’amphithéâtre. Il y épouse à la fin de l'année Rachel, qui porte leur enfant. Le mariage est probablement programmé dans l'urgence, car la jeune femme accouche trois mois plus tard.
Comment se passe la vie de famille ? Impossible de le savoir par le biais des archives publiques… mais le petit n’a que quelques mois quand son père disparait.
Rachel recherche son mari. Au mois de novembre 1920, elle sollicite la police pour le retrouver. Son objectif est très clair : lui réclamer une pension alimentaire.
Il a disparu
Albert est parti le 20 juin 1920 et n’a pas réapparu. Il a déclaré à sa femme qu’il allait à Lyon chercher une camionnette pour l’usine à gaz. Arrivé à Séverac le Château, il a écrit qu’il n’allait pas à Lyon mais à Tunis.
Avant de solliciter les autorités, Rachel a déjà mené son enquête. Elle a retrouvé sa trace à Paris en septembre 1920 au 98 rue de l’Ourmel dans un garni. Mais il disparu à nouveau.
Quand elle sollicite la police en novembre 1920, elle pense qu’il a pu se rendre peut-être dans le Nord, ou le Gard, ou vers Montpellier...
Une blonde, peut-être teintée
A la police, elle indique que ce qui est sûr c’est qu’il est parti avec Jeanne C., avec qui il est probablement ... et qui doit accoucher prochainement.
Rachel donne le signalement de son mari ainsi que celui de celle qui l’accompagne. Blonde (mais peut être teintée), des yeux petits, le nez un peu long, le menton un peu pointu. Pour le teint, il est précisé « elle se poudre ».
Cette femme est originaire de Bretagne, Elle était Rodez depuis quelques mois et Albert l’aurait connue à Paris où elle habitait chez sa sœur 121 Rue de Sèvres (tenancière du garni). Pour Rachel, pas de doute, il est parti vivre avec elle.
Rachel écrit aux contacts qu’elle connait, dont un ancien employeur dans l’Aveyron qui évoque qu’Albert pourrait être à Montpellier. Elle écrit aussi à la famille de l’amante. La personne qui répond ne sait pas le sexe de l’enfant ni s'il a vécu, mais écrit « cet enfant ne sera pas le bienvenu parmi nous si un jour Jeanne revient. » Car il est évident qu’Albert ne restera pas plus avec Jeanne qu’avec Rachel.
L’enquête administrative
Dans les cas de disparition d'adultes, il faut séparer, à cette époque, la notion de recherches et de fixations de domicile (où le demandeur veut juste être informé si l'adresse a été trouvée), de la recherche dans l'intérêt des familles. Dans ce dernier cas, les gendarmes ou la police doivent entendre le demandeur et mener une enquête. Les mairies sont alors informées, le préfet diffuse un avis via les recueils d'actes administratifs et sollicite ses homologues des départements cités, puis la Sureté générale.
Cette dernière instance fait établir, par les instances locales, une fiche signalétique précise sur la personne recherchée, son signalement, ses vêtements, la date et les circonstances de disparition, les localités et personnes qui pourraient fournir des renseignements et surtout le degré de parenté, les noms prénoms adresse du demandeur et le motif invoqué.
Dans ces dossiers, il est bien précisé qu'il doit exister un lien de parenté entre le demandeur et la personne disparue. En aucun cas, une recherche ne peut être faite pour des raisons pécuniaires telles que le recouvrement d'une créance, un règlement de comptes ou des affaires financières.

Exemple d'un avis de recherche dans l'intérêt des familles - Préfecture de l'Indre - 1850 - Numérisé par la BNF et visible sur le site Gallica.
Pour Albert, ce sont les préfectures de l’Hérault, le Rhône, la Tunisie et la ville de Paris qui sont sollicitées. La police demande à Jeanne de fournir des photos pour pouvoir identifier la personne recherchée. Elle donne celle reçue avant son mariage, en apposant une croix bleue sur son mari.
La R.I.F administrative se termine en janvier 1921 quand la Direction de la Sureté générale indique au préfet de l’Aveyron que l’enquête n’a pas pu permettre de trouver la trace d’Albert et que la photo peut être rendue à Rachel.
A la question "en cas d'insuccès des recherches, l’intéressé réclamerait-t-il l'inscription du disparu à la feuille signalétique" a été répondu "oui". On peut donc imaginer que la découverte d'Albert après la fin de l'enquête aurait pu permettre à Rachel d'obtenir de ses nouvelles.
Et après ?
La photo n’a jamais été restituée puisqu’elle est toujours présente dans le dossier administratif. Rachel a-t-elle continué ses recherches ou fait appel à des "détectives" proposant ce type de recherches dans les petites annonces des journaux ? Pendant l'été 1921, son fils décède. Sa demande de pension alimentaire n'est donc plus recevable.
En fouillant dans les archives, on peut savoir aujourd’hui qu’Albert était bien à Montpellier avec « sa blonde peut-être teintée ». Leur premier enfant est né en 1920, en pleine enquête administrative. D’autres enfants sont nés, sans être reconnus, toujours à Montpellier. C’est d’ailleurs l’adresse que l’on retrouve sur la fiche matricule d’Albert.
Rachel est décédée des années plus tard, probablement sans avoir eu de nouvelles de son mari. Albert n'a peut-être jamais su que son premier enfant était décédé. La photo, elle, est toujours dans le dossier, archivé depuis longtemps.
Où chercher ?
Les recherches de personnes disparues, enfants ou adultes, ont laissé des traces dans les archives depuis le début du XIXe siècle. Les R.I.F. étaient traitées par les mairies, les gendarmeries et polices, les services administratifs des préfectures et sous préfectures et le service de Sureté générale. Bien entendu, certains avis étaient relayés par la presse. C'est donc dans toutes ces archives qu'il vous faudra chercher une personne disparue.
Mais n'espérez pas trouver une photo pour chaque dossier, certains les auront récupérées, d'autres n'en auront jamais fourni...
La procédure a été supprimée en 2013. Il existe cependant de nouveaux moyens d'alerte et de recherche, mis en place en cas de disparition inquiétante.
Chercher l'introuvable ?
Il serait intéressant d'organiser une indexation systématique de ces procédures afin de permettre de chercher des personnes dont on perd la trace. L'analyse de ces dossiers en Aveyron montre plusieurs typologies de résultat :
- les dossiers restés sans suite ;
- les dossiers avec une fin tragique (noyade, suicide...) ;
- les dossiers dont les personnes sont emprisonnées dans un autre lieu (vagabondage, coups et blessures) ;
- et des dossiers qui finissent bien !
Une partie de l'indexation de ces dossiers conservés aux AD de l'Aveyron est disponible dans la base de données.
© 2025 Généalanille Article publié le 13 octobre 2025