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Son mari disparu, elle devient enfin veuve

Son mari ayant disparu depuis de nombreuses années, Marie Cadoul devient enfin veuve après avoir fait reconnaitre son absence. Peut-on retracer le parcours d’un disparu jamais retrouvé ?

Un mariage ordinaire

Jean Fleuret Molinier, fils de Jean et de Marianne Monsept épouse le 31 décembre 1874 Marie Cadoul à Verrières de Sébrazac en Aveyron. Il est agriculteur dans la commune et son père est mort un mois plus tôt.

Aucun enfant ne nait dans la commune aveyronnaise, le couple semble déjà avoir déménagé.

Au moment du règlement de la succession de son père, et des partages qui vont suivre,  il habite Verrières, en Aveyron,  ou à « St Sauveur de l’Hérault » ou encore à Montpellier.

Dans l’Hérault

On retrouve la trace de la famille dans l’Hérault avec deux enfants morts en bas âge : Jean François né le 28 septembre 1874 à Villeneuve-lès-Maguelone qui décède à 12 jours, puis Albertine Marie, née dans la même commune le 20 octobre 1875. Elle meurt 9 jours plus tard.

En 1876, le couple reste seul dans la même commune avec une fillette d’un an, Léa Castan, née à Montpellier, qui a probablement été placée en nourrice.

Recensement Population 6M801-AD34

Retour en Aveyron et disparition

La famille revient en Aveyron pour faire voir le jour à deux garçons :

  • Marcellin Antoine Fleuret né le 28 juillet 1877 à Rodez (son père est terrassier, demeurant rue Béteille)
  • Pierre Joseph né le 29 aout 1879 à Espalion (son père est cultivateur à Espalion).


Jean Fleuret reçoit des biens en héritage, il les vend en août 1881…

A partir de ce moment, le couple devient difficilement localisable : il n’est pas dans les recensements de population des communes d’Espalion et de Sébrazac, il ne fait pas d’acte notarié, ni d’infraction, ni d’acte de bravoure.

Les listes électorales ne nous donnent pas d’indice puisqu’elles n’ont pas été conservées pour cette période.

Marie Cadoul, seule…

Marie Cadoul, épouse Molinier, réapparait dans les archives. Elle est présente avec ses parents et son fils cadet à Sébrazac en 1891, puis avec sa mère et sans mari, ni enfant en 1896.

Les enfants deviennent grands. L’ainé est marchand de vin à Paris quand il part faire son service militaire. Le cadet, d’abord cultivateur, part à Paris en 1901.

 

Marie Cadoul ne semble pas faire de démarche administrative pour rechercher son mari. Pas de « recherche dans l’intérêt des familles », pas d’enquête de gendarmerie. Il lui a peut-être dit qu’il partait travailler, elle reçoit peut-être des nouvelles de sa part. Inquiète ou non, cette information n’est pas visible dans les archives. Alors pourquoi le déclarer absent ?

Marie Cadoul va avoir deux opportunités avec le mariage de ses enfants, car le consentement des parents est nécessaire pour que les fils se marient.

Le nécessaire consentement des parents pour se marier

Le mariage du fils aîné a lieu en 1900 à Paris. Il est l’occasion de reconnaitre un enfant né avant l’union. (Cet enfant sera en Aveyron avec sa sœur chez sa grand-mère Marie Cadoul lors du recensement de 1901.)

Pour célébrer le mariage, il a fallu un acte de notoriété délivré par le juge de paix de Villejuif le 5 janvier 1900 (acte non consulté).


Le mariage du fils cadet a lieu en 1903 à Paris et lui aussi nécessite un acte de notoriété, cette fois ci plus local, puisqu’il est délivré par le juge de paix d’Estaing (Aveyron).

Les témoins de l’acte de notoriété

Quatre témoins aveyronnais sont présents devant le juge de paix d’Estaing. Ils attestent des informations suivantes :

  • Que le dernier domicile de Jean Fleuret est à Sébrazac
  • Qu’il a disparu dans le courant de l’année 1882
  • Que depuis sa disparition, il n’a pas donné de nouvelles et qu’on ne sait pas ce qu’il est devenu
  • Que s’il n’est pas mort, il habite « un pays » que sa famille ne connait pas.

Et comme il n’y a pas eu de déclaration d’absence, il est prévu, selon les termes de l’article 149 du Code civil, que le consentement de la mère suffit pour que les fils se marient.

NB : Les deux fils vont mourir respectivement en 1912 et 1914. Leur décès n’apporte pas d’information sur la disparition de Jean-Fleuret.

Pourquoi déclarer le Jean Fleuret absent ?

En 1929, pour une raison indéterminée, Marie Cadoul va entamer des démarches pour déclarer son mari absent. Ses enfants sont mariés depuis plus de 30 ans, décédés depuis 15 ans. Il n’y a pas de raison flagrante à avoir besoin de cette démarche -par exemple pour elle-même se remarier. La cause la plus probable est une demande d’aide financière pour vivre.


Dans sa démarche judiciaire, Marie Cadoul explique que vers la fin du siècle, son mari a abandonné le domicile conjugal et depuis cette époque personne n’a reçu de ses nouvelles et n’a pu connaitre le lieu de sa résidence. « On ignore même s’il existe encore ». Elle précise s'être mariée en janvier 1874 ...

Une enquête est menée pour déterminer la véracité des propos et les possibilités de recherche. Plusieurs témoins sont entendus.

Séraphie Conquet, veuve Destours, institutrice en retraite à Espalion explique qu’elle a habité Sébrazac de 1884 à 1917 et qu’elle n’a jamais vu Jean-Fleuret Molinier. Sa femme lui a dit qu’avant 1884, elle était partie avec son mari pour Montpellier et qu’elle en était revenue seule au bout de quelques mois ne s’y étant rendue que pour y travailler une saison. Son mari n’est jamais revenu au pays et ne lui a jamais donné de nouvelles. Mme Molinier a demandé à l’instituteur d’écrire au maire de Montpellier pour avoir des nouvelles. Il lui a été répondu qu’il était inconnu. Mme Molinier a élevé seule deux jeunes enfants, … comme elle a pu.

Alexandre Costes 55 ans, cultivateur à Sébrazac dit « Il y a plus de 30 ans Marie Cadoul partit à Montpellier pour rejoindre son mari qui s’y trouvait déjà. Au bout de quelques mois, elle est revenue seule et n’a jamais eu de nouvelles. Un certain Vassal qu’elle connaissait et qui habitait Montpellier lui a dit que son mari était mort. Elle a cherché à faire des recherches mais elles n’ont pas abouti. »

Auguste Mouliés, 65 ans, cultivateur à Sébrazac dit qu’il a parfaitement connu Jean Fleuret Molinier il y a une quarantaine d’années avant son départ pour Montpellier où sa femme l’a rejoint pour quelques mois avant de revenir seule pour le Bousquet. Elle a fait des recherches à Montpellier qui n’ont pas abouti. La rumeur dit qu’il serait mort dans une inondation mais personne n’en a la confirmation formelle.

André Bioulac, 66 ans, garde champêtre dit que Jean Fleuret est parti de Sébrazac il y a plus de 40 ans pour aller à Montpellier. Sa femme l’a rejoint avant de revenir seule. Le bruit a couru qu’il s’était noyé mais les recherches faites pour retrouver son acte de décès n’ont pas abouti.

Louis Fau, 70 ans, cultivateur dit qu’il a connu Mr Molinier avant son mariage qui remonte à 43 ans. Il n’a pas revu Molinier depuis cette époque mais il n’a plus donné de nouvelles depuis et les recherches faites pour le retrouver mort sont restées sans résultat

La démarche administrative

Suite à l’enquête, l’avis d’absence parait au journal officiel le 27 avril 1929. L’ordonnance d’absence est prononcée le 18 avril 1929. Le jugement n’est pas transcrit dans les registres d’état civil de Sébrazac. Aucune mention marginale n’est apposée, car ce n’est pas obligatoire à cette période-là.

Journal officile

Les inondations ?

Lors de l’enquête de 1929, il est évoqué que Jean-Fleuret est décédé dans des inondations et qu'on aurait fait des recherches pour trouver son décès. Cette information n’est pas présente lors de l’acte de notoriété de 1902. Elle apparait à nouveau de manière plus précise dans la table de succession et absences, car Jean-Fleuret est noté comme « décédé il y a plus de 30 ans aux inondations de la Garonne ». Acte de bravoure ? Accident ? La presse ne relate pas cet événement, mais il n’y a pas de fumée sans feu.

Marie Cadoul décède le 1er décembre 1932, elle n’aura été veuve que 3 ans.


Et pour votre famille ?

Avez-vous pensé à chercher du côté des absences lorsque vous ne trouvez pas un acte de décès ?

La bonne démarche est de commencer par rechercher la publication au journal officiel. Les informations recueillies vous permettront ensuite de chercher les jugements et enquêtes liés à cette absence…. Puis à patiemment reconstituer les éléments disponibles et les traces de vie.


Sources : 4E272-9-AD12, 4E272-14-AD12, 4E212-47-AD12, 4E84-19-AD12 , V4E 8540-AM Paris, V4E8441- AM Paris, 5Mi 5/16-AD34, 5Mi 61/7-AD34, 53Q686-AD12, 53Q796-AD12, 53BISQ112-AD12, 3M387-AD12, 4M347-AD12, 6M179-AM Paris, 6M801-AD34, 6M096/02-AD12, 6M096/03-AD12, 6M265/04-AD12, 6M265/05-AD12, 6M265/06-AD12– 1R827-AD12, 1R844-AD12, 10U20/52-AD12, 10U20/39/AD12, 5U1015-AD12, 5U139-AD12, 5U1151-AD12, JORF 1929, Journal de l’Aveyron, Bulletin d’Espalion, La Dépêche, La Gironde

Photo : image d'illustration


© 2023 Généalanille
Article publié le 22 août 2023

Cet article a été réalisé dans le cadre du challenge UproG de août 2023 sur le thème imposé "un disparu jamais retrouvé".


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