Le contrôle des créations et agrandissements d’établissements
Pouvoir créer son commerce ou l'agrandir ? En 1939, un contrôle est mis en place et impose aux commerçants et industriels, tant locaux que réfugiés, tant français qu'étrangers, de faire des demandes préalables. Les dossiers conservés dans les archives peuvent permettre de mieux comprendre les enjeux de l'histoire locale et familiale.

Le décret du 9 septembre 1939
Le décret du 9 septembre 1939 parait dans le JO du 16 septembre 1939. Il précise dans son article premier :
Jusqu’’à une date qui sera fixée par décret, et sans préjudice de l’application des lois et règlements concernant l’exercice de certaines professions ainsi que l’exercice, par les étrangers, de professions commerciales, industrielles ou artisanales, la création ou l’extension de tout de commerce, ou de toute industrie, ou de tout établissement artisanal, est subordonnée à une autorisation du préfet du département dans lequel la création est envisagée ou dans lequel est situé rétablissement dont l’extension est demandée.
Cette autorisation est accordée, après avis de la chambre de commerce dans la circonscription de laquelle est ou doit être exploité l’établissement.
Le recours contre la décision préfectorale peut être exercé dans un délai de quinze jours devant le ministre du commerce.
Sont donc concernés
: les commerces, les industries et les artisanats, qu’ils soient déjà existants ou ayant existé et bien évidemment à créer, et dont les responsables sont français ou d’origine étrangère.
Les changements de localité et agrandissements d’activité sont soumis à autorisation.

Le dossier
Le dossier à constituer (et aujourd'hui conservé aux archives départementales) contient :
- un courrier par le demandeur qui explique son projet et le lieu d’implantation, ainsi qu’un timbre fiscal;
- parfois une carte professionnelle et des courriers complémentaires (du demandeur ou de ses appuis politiques ou professionnels) ;
- un extrait de casier judiciaire du demandeur ;
- un avis de la chambre de métiers du département ;
- un avis de la chambre de commerce du département.
- à partir de juin 1942 et selon les instructions du secrétaire d’état à la production industrielle, des avis complémentaires de comités d’organisation de certains secteurs, de chambres syndicales ou de groupements interprofessionnels sont adjoints au dossier.
- un questionnaire sur le demandeur rempli par le maire de la commune ou le commissariat de police (voir le détail plus loin) ;
- un arrêté préfectoral donnant l’accord ou le refus à la demande;
- à partir de l’Arrêté du 22 avril 1940 du ministre du commerce, le récépissé confirmant que l'arrêté a été affiché sur la porte de la mairie.
Un recours est possible par toute personne dans les 15 jours suivant la notification de l’arrêté. Par toute personne, il faut entendre le demandeur, les représentants des chambres institutionnelles, mais aussi les voisins ou les concurrents.
La décision est applicable soit à l’expiration de ce délai, soit à la décision définitive du ministre du commerce en cas de recours.
L’activité professionnelle n’est pas autorisée tant que le période de recours n’est pas expirée.
(On note d'ailleurs sur le document ci-dessus un tampon en haut à gauche justifiant qu'il n'y a pas eu recours).
Cet arrêté est publié sur le bulletin créé par le décret du 4 aout 1926 et diffusé sur papier timbré au demandeur, au maire de la commune, du président de la chambre de commerce, du président du tribunal de commerce du lieu d’exercice et du président de la chambre des métiers du département.

Les informations du questionnaire rempli par le maire
Le questionnaire comporte les questions suivantes remplies par le maire :
- Nom, prénoms, dates et lieux de naissance, résidence.
- Nationalité et mode d’acquisition. Le demandeur est-il de race juive ?
- Si le demandeur est étranger, s’il est en possession d’une carte de commerçant étranger ou d’artisan étranger (prévue par les décrets respectivement de 1938 et 1935) et le cas échéant, le numéro, la durée de validité, les dates, lieux et départements de délivrance.
- Profession actuelle
- Situation de famille
- Profession et ressources du conjoint
- Le nombre, l’âge et la nationalité des enfants.
- Les services militaires accomplis
- Les condamnations (avec date, motif et nature)
- La moralité du demandeur
- L’activité que veut exercer le demandeur et la commune de cette activité
- En cas de transfert, les raisons de celui-ci.
Outre la possibilité de situer géographiquement une personne à un instant donné, les informations que le questionnaire contient peuvent être instructifs.

Les causes de demande de création ou d'agrandissement
Voici quelques unes des causes invoquées dans la constitution des dossiers :
- multiplier les ressources financières par de nouvelles activités,
- répondre à des besoins en raison de la pénurie de certains matériaux,
- répondre à des commandes exceptionnelles,
- reprendre la succession d’un parent ou rouvrir un commerce suite à des problèmes de santé,
- faire survivre le commerce suite au départ sous les drapeaux d’un mari,
- se mettre en conformité de la loi,
- subvenir aux besoins de la famille suite à un déplacement géographique (réfugié, victime civile de guerre, zone occupée).

Les causes de refus
L'administration peut refuser les créations ou les agrandissements. Voici quelques causes de refus :
- difficulté d’approvisionnement de denrées (alimentaires) ou ressources (matières premières pour exercer le métier),
- l’inexpérience dans l’activité,
- l’inutilité de faire une demande (celle-ci étant explicitement validée par la situation : succession à une activité existante),
- la présence d’un trop grand nombre d’activités identiques au moment de la demande,
- la concurrence opportuniste (le mari est sous les drapeaux et sa femme peine à maintenir l’activité),
- la moralité du demandeur ou ses condamnations ultérieures,
- un quota de prestations de même nature dépassé pour une commune (par exemple, loi du 9 novembre 1915 pour les cafés),
- une clause signée lors de la fin d’exercice d’un précédent commerce (« s’est engagé à ne pas exercer le même type de commerce dans les dix années à venir »).
L’autorisation peut être faite sous conditions : « ne pas vendre des œufs », « les boissons alcoolisées y compris le vin ne pourront être offertes qu’à l’occasion des repas et comme accessoires de la nourriture », n’est pas majeur.
Il faut ajouter à ces causes, l’abandon du projet
par le demandeur, soit parce qu’il déménage, soit parce que la situation économique a changé (nouveaux marchés, financement de matériel non obtenu), soit parce que le demandeur est malade ou décédé, soit parce qu’il a changé d’avis.
Autorisé ou refusé … et ensuite ?
En cas d’autorisation, le demandeur fait les démarches auprès du tribunal du commerce.
En
cas de rejet, le timbre fiscal est remboursé au demandeur et aucune information n’apparait sur les registres d’immatriculation du
registre… Il faut donc
penser à consulter les dossiers de demandes
pour cette période.

Quelques abréviations
Pour vous aider dans vos recherches, voici quelques abréviations présentes sur les dossiers :
Ch de C : chambre de commerce
C.I : directeur des contributions indirectes
S.A.: service de l'agriculture
R.G. : directeur département du ravitaillement général
E.F. : Eaux et forêts
G.R : Génie Rural
G.A.R.V : Groupement d’achat et de répartition des viandes
B.O. 00/00/194x : date de parution dans le Bulletin officiel
Quest ou Qr le 00/00/194x : date d’envoi du questionnaire rempli par le maire ou le commissariat de police
Fav. Defav. : avis favorable ou défavorable des instances sollicitées
Autoriser – refus – classer – appel confirmé : décision finale
P.R. le 00/00/194x : signifie qu’aucun recours (pas de recours) n’a été instruit et donc que la décision est validée.
Pourquoi rechercher ces documents ?
Si vos ancêtres étaient artisans, commerçants ou industriels, ils ont dû se plier au décret de 1939 sur la création, la modification, l'agrandissement, le changement de localité ou d'activité de leur entreprise. Que leur dossier soit accepté ou refusé, vous pourrez y trouver les arguments de cette demande.
Par ailleurs, les populations déplacées, telles que les réfugiés de la seconde guerre mondiale, ont dû subvenir à leurs besoins parfois en créant une activité professionnelle. Il est ainsi possible de mieux comprendre leurs motivations et problèmes dans un département loin du leur.
Enfin, toute personne s'intéressant à l'histoire locale et à la sociologie peut trouver des pistes intéressantes dans ces dossiers.
Bonnes recherches !
© 2025 Généalanille Article publié le 12 mai 2025
Sauf mention contraire, documents d'illustration : collection C. Cheuret